Un monstre sacrĂ© du cinĂ©ma. Ă€ l’âge de 83 ans, la majoritĂ© de la carrière de Ridley Scott est derrière lui. On ne prĂ©sente plus le bonhomme et sa filmographie : Alien, Blade Runner, Gladiator, Hannibal, American Gangster, Seul sur Mars et très prochainement House of Gucci… Le cinĂ©aste Britannique est un professionnel hyper Ă©clectique, capable d’explorer une multitude de genres cinĂ©matographiques. Pourtant, c’est un rĂ©alisateur qui Ă©volue constamment en dents-de-scie, capable du meilleur comme du pire, capable de proposer un chef-d’œuvre avant de lourdement s’écraser avec le projet suivant. Nous allons nous interroger si, d’un point de vue Ă©conomique et du contenu, le cinĂ©ma de Ridley Scott n’est pas en dĂ©clin.
Des débuts grandioses

Propulsé sur le devant de la scène avec The Duellists (1977), appuyé par les belles performances des comédiens Harvey Keitel et Keith Carradine, Ridley Scott signe un premier film marquant qui lui offre une grosse porte d’entrée dans le cinéma d’Hollywood. Avec 92 % d’avis positifs sur Rotten Tomatoes et un prix de la première œuvre au festival de Cannes 1977, le film fait un carton critique. La suite, on l’a connaît avec Alien et Blade Runner.
Deux très gros films qui assoient directement la suprématie de Ridley Scott sur la science-fiction. En proposant un savant mélange entre horreur et science-fiction pour Alien et un thriller dystopique, fin et brillant avec Blade Runner, le cinéaste fait une razzia de toutes les récompenses possibles et inimaginables. Ces deux œuvres sont par ailleurs cultes dans la pop-culture actuelle et pour l’éternité. Alien premier du nom, c’est tout de même 98 % d’avis positifs sur Rotten Tomatoes et un véritable travail de fond effectué par des historiens et des théoriciens sur de nombreuses thématiques du film. La figure d’Ellen Ripley et son parcours au fil des films aura inspiré un grand nombre de chercheurs d’universités.
Les chercheurs auront notamment rĂ©alisĂ©, en guise de preuve que le film est très dense sur le fond, que l’un des sujets principal d’Alien Ă©tait celui de la maternitĂ©. Le vaisseau est en effet appelĂ© « Maman », la pièce centrale est largement Ă©clairĂ©e et est toujours lĂ pour rĂ©pondre aux demandes de l’Ă©quipage. Image donc d’une mère qui est lĂ pour prendre soin de la famille que forment les personnages. Chez les XĂ©nomorphes, la maternitĂ© prends forme organiquement parlant oĂą l’Alien naĂ®t directement du corps humain (rĂ©fĂ©rence Ă la scène de l’Alien qui perfore l’abdomen de l’officier Kane). Enfin, parmi les personnages, tous les hommes meurent sauf Ellen Ripley qui fait s’autodĂ©truire mère en, symboliquement, coupant le cordon. La maternitĂ© n’est donc qu’une thĂ©matique parmi d’autres que l’on peut analyser dans l’Alien de Ridley Scott et qui se perpĂ©tue dans Aliens : le retour de James Cameron (1986) oĂą Ripley prend sous son aile Rebecca « Newt » Jorden, une jeune fille abandonnĂ©e dans un vaisseau. Ridley Scott, grâce Ă Alien, a donnĂ© naissance Ă une saga tentaculaire, pouvant ĂŞtre interprĂ©tĂ©e sous divers versants.

Scott aura fait rentrer le Xénomorphe dans notre patrimoine culturel commun tant la figure de l’Alien aura été reprise partout. En plus de tout cela, Scott empoche l’Oscar des meilleurs effets visuels de 1979 et est alors propulsé vers Blade Runner, adapté du roman de Philip K. Dick « Do Androids Dream of Electric Sheep ? » après s’être détourné d’une adaptation de Dune. Pilier du style cyberpunk pour beaucoup, Scott considère Blade Runner comme son film le plus personnel.
Après ces deux mastodontes du cinéma, Ridley Scott se lance dans la production avec sa boîte « Scott Free Productions » où il finance des films et projets télévisuels depuis 1995. C’est notamment sous sa bannière que des films comme Seul contre Tous (2015), Le Crime de l’Orient-Express (2017) ou ses propres projets à lui auront une partie de leur financement. Jusqu’en 2000, le cinéaste ne fait pas de grands coups d’éclat extraordinaires, mis à part quelques bonnes surprises avec Thelma et Louise (1991) et 1492 (1992).
Première décennie du XxIème siècle assez faste

Ridley Scott fracasse les compteurs avec Gladiator. Un unanime succès aux Oscars (Meilleur film, meilleur acteur, meilleurs costumes, meilleurs effets visuels, meilleur son), 465 millions de dollars de recettes, 77 % d’avis positifs (c’est si rare autant d’avis positifs pour un péplum…). Le film aura déclenché même ce que l’on appelle le « Gladiator Effect » c’est-à -dire un intérêt accru pour l’histoire Romaine et classique en général :
« Ce phĂ©nomène est appelĂ© « gladiator effect » par les Ă©crivains et scĂ©naristes. Le snob qui est en nous aime Ă croire qu’il y a toujours des livres Ă adapter. Pourtant, dans ce cas, ce sont les films, et plus rĂ©cemment Gladiator il y a deux ans, qui ont crĂ©Ă© l’intĂ©rĂŞt pour l’AntiquitĂ©. Et pas seulement pour la vision romaine colossale, mais aussi pour l’Ă©criture qui peut ĂŞtre sĂ©rieuse ou dĂ©contractĂ©e, ou les deux » — Martin Arnold, The New York Times, le 11 juillet 2002
Un phénomène de société qui est accru aujourd’hui, à l’apogée des réseaux sociaux. Pour exemple, Le Jeu de La Dame, la série Netflix portée par Anya Taylor-Joy ou la série Coréenne Squid Game auront créé un nouvel élan chez les spectateurs pour les jeux d’échecs et pour reproduire des jeux d’enfants, en version tueries (ce qui est dangereux).
Gros phénomène culturel, Gladiator aura lancé une vague de films épiques avec Troie (2004), Alexandre (2005), 300 (2007) ou encore La Dernière Légion (2007). Cependant, tout se sera estompé dans le genre avec plusieurs gros bides successifs : Robin des Bois (2010) ; Centurion (2010), Hercules (2014) ou encore le remake bien pourri de Ben-Hur (2017). Majoritairement, Ridley Scott est donc responsable de cela au début de sa carrière : de films tellement importants culturellement parlant qu’ils auront engendré un héritage conséquent pour ces différentes productions. Ses films suivants : Hannibal (2001) ; American Gangster (2007) connaissent aussi de beaux succès.
Un gros passage Ă vide

2010 : Robin des Bois se révèle être un très mauvais film, porté par un Russel Crowe en perte de vitesse. Obtenant 43 % d’avis positifs sur Rotten Tomatoes, Robin des Bois aura connu un tournage chaotique marqué par des événements multiples : des lieux de tournages non-validés, un scénario changeant, des interprètes non-définitifs et surtout une grève générale des scénaristes. La superproduction de 200 millions de dollars ne totalise que 321 millions de recettes. Si on prends en compte l’envergure marketing, le long-métrage ne rentre pas dans ses frais et fait perdre de l’argent à Universal. C’est donc le début d’une lente descente aux enfers pour Scott. Le cinéaste va en effet se mettre en danger avec un projet hyper casse-gueule : un préquel à Alien, qui n’est autre que Prometheus (2012).
Au début, Scott voulait être le producteur du film tout en laissant Carl Erik Rinsch, l’un de ses proches, le poste de réalisateur. Mais un conflit éclata avec la FOX qui ne voulait entendre parler que du cinéaste original du premier film derrière la caméra. Ce dernier avait, par ailleurs, vu les choses en grand en imaginant sa nouvelle saga fracasser le Avatar de James Cameron :
« James a mis la barre très très haut, mais je dois faire encore mieux ! Il ne va pas s’en tirer comme ça ! »
Résultat : beaucoup de railleries sur les incohérences du film sur les réseaux sociaux, un score convenable de 73 % d’avis positifs mais qui reste décevant compte tenu du score du premier Alien, et 430 millions de recettes pour 130 millions de dollars de budget. Un projet qui aura appelé à une suite, cinq années plus tard, avec Alien : Covenant. Ce nouveau film sera un échec au box-office et fera encore un moins bon score que Prometheus. Ne voulant pas lâcher son bébé, Ridley Scott aura détruit la franchise à un point tel qu’il est extrêmement difficile pour Disney et la FOX désormais de trouver une opportunité pour tout recommencer. Entre ses deux films, Scott aura multiplié les échecs avec notamment Cartel (2013) et Exodus (2014) qui auront été deux gros ratés au box-office et d’un point de vue critique. Seul subsiste un petit sursaut d’orgueil : Seul sur Mars (2015).

Seul Sur Mars, en plus d’être une adaptation réussi et élogieuse du livre d’Andy Weir, est un long-métrage savamment maîtrisé, qui parvient à jongler entre différentes thématiques tout en proposant diverses formes de narration. Parfait mélange entre de la comédie, de l’aventure et du drame, Ridley Scottparvient à tirer un divertissement totalement honorable de ces 144 minutes de film.
L’Ă©pĂ©e de damoclès avec The Last Duel

100 millions de dollars de budget, Adam Driver, Matt Damon et Jodie Comer au casting, la garantie d’un film bien épique comme on l’aime, mais rien y fait. Pour son premier week-end d’exploitation aux Etats-Unis, le long-métrage a encaissé 4.82 millions de dollars de recettes. Soit rien du tout. Si le film ouvre simplement autour des 10 millions de recettes, il paraît fort probable que Le Dernier Duel ne rembourse même pas ses frais de productions et fasse donc perdre une manne financière importante à la Fox…
Ridley Scott semble donc à la croisée des chemins, bien plus matraqué par des échecs que ses succès d’antan. Pourtant, l’horizon peut lui sourire avec le faux biopic « House of Gucci » qui, s’il est réussi, peut lui garantir quelques distinctions. En perte de vitesse, le vétéran Scott peut-il espérer un nouveau sursaut d’orgueil avec ce futur film, avant peut être de laisser la main à la nouvelle génération de cinéastes ?