Alors, ce Justice League tant attendu ? Rêve qui devient réalité ou cauchemar ? Échec ou brillante réussite ? Notre verdict.
PREMIER ACTE ET SCÈNES COUPÉES
Les dernières bandes-annonces interminables, diverses et variées sont projetées, puis les lumières de la salle de cinéma s’éteignent enfin. La projection du film espéré depuis des dizaines d’années peut commencer. Les logos Warner Bros, RatPac (que l’on ne verra probablement plus suite aux révélations faites sur le pitoyable Brett Ratner) et DC défilent sur un thème de Danny Elfman qui rappelle beaucoup trop les compositions lisses de Marvel Studio. L’inquiétude sur la Marvelisation du DC Films commence d’entrée de jeu, mais est vite balayée par un court prologue et une première scène extrêmement efficaces. Vous êtes de ceux qui ont su apprécier l’ambiance sombre, authentique et fidèle de Gotham City et le traitement de Batman par Zack Snyder dans Batman V Superman ? Alors vous serez d’autant plus comblé par cette première scène. Imaginez ce que Batman et sa Gotham City des comics et de la série animée de Bruce Timm et Paul Dini donneraient dans un film live, amplifiez le résultat par 2. Ajoutez ensuite une composition musicale de l’âge d’or de Danny Elfman telles ses créations sur Batman et Batman Returns de Tim Burton et sur le générique de la série animée et vous obtenez ce que constitue la première scène de Justice League.
Après cela, place au générique d’ouverture, parfaite continuité de Batman V Superman nous montrant le monde après la mort du kryptonien et ses conséquences, sur l’efficace « Everybody knows » de Sigrid, dont le style est semblable aux meilleures chansons utilisées dans les ouvertures des James Bond. Dans cette sublime séquence, saluons l’ingénieuse idée de la une du Metropolis Post intitulée « Did they return to their planet ? » avec les photos de David Bowie, Superman et Prince. Il est extrêmement rare de voir dans les blockbusters l’utilisation de l’actualité concernant la perte d’artistes talentueux. Ensuite, direction Londres avec une scène de Wonder Woman, qui rappelle les comics et les films de Superman. Cependant, il est dommage de constater qu’un plan montré dans les bandes-annonces ait été ici supprimé.
Le film suit ensuite son cours, de Métropolis à Gotham City, en passant par Themyscira et bien sûr Central City. On apprécie toujours autant le choix malicieux de Joe Morton en Silas Stone (qui était dans Terminator 2 le créateur de Skynet), et on savoure les deux scènes de l’excellent Billy Cudrup (Watchmen, Public Enemies, Blood Ties, Spotlight) incarnant ici Henry Allen, le père de Barry. On notera bon nombre de scènes coupées au montage, comme la scène de la bande-annonce où Barry Allen fracture une vitrine ou encore la scène du match de football américain avec Victor Stone sous la neige dont la mise en scène de Zack Snyder promettait pourtant beauté et authenticité. Iris West est également coupée au montage. Rappelons qu’une scène avec son interprète Kiesey Clemons avait pourtant été tournée. Heureusement, on ne ressent pas ces coupes dans le récit, contrairement au charcutage dont avait été victime la version cinéma de Batman V Superman.
INTERPRÉTATIONS ET PSYCHOLOGIE DES PERSONNAGES
Concernant l’écriture et les interprétations des personnages, cela aurait pu être parfait si les scénaristes Zack Snyder et Chris Terrio ainsi que Warner Bros, n’avaient pas décidé de faire de Barry Allen/Flash le clown de service. Soyons certains que la réécriture et les reshoots de Joss Whedon n’ont pas aidé. Il est vrai que dans de nombreux récits, version comics ou animés, la principale caractéristique de ce personnage est l’humour, mais ici, elle est utilisée à l’extrême. L’idée d’en faire un jeune adulte débutant et amusant malgré lui aurait été plus efficace si elle avait été plus judicieusement dosée. Ezra Miller, charismatique comédien faisant partie des meilleurs de sa génération méritait mieux. En revanche, le design de son costume est à saluer, un vrai plaisir pour les yeux, et l’utilisation du terme « speed force » (force véloce) nous fait constater que le rêve devient réalité sur grand écran.
Concernant Arthur Curry/Aquaman, le personnage est intéressant et badass, mais pas assez exploité. Mentionnons tout de même une fameuse scène avec le lasso de vérité, quand les cases de comics prennent vie de cette manière, on ne peut qu’apprécier. De plus, on applaudit la vision que Snyder a eu pour ce personnage depuis Batman V Superman concernant le look et le choix de son interprète, Jason Momoa, charismatique et rock and roll à souhait.
Victor Stone/Cyborg quant à lui, est un personnage authentique, tant par sa psychologie que son rapport aux technologies. L’interprétation de Ray Fisher sonne très juste. Voir enfin Cyborg et son potentiel en film live est une chose très appréciable. La crainte était haute au vu de son design et des effets spéciaux concernant ce personnage dans les bandes-annonces et différents visuels, et on peut le dire, nous avons évité le pire. Sans être incroyables, les FX de Cyborg restent corrects dans l’ensemble. J.K Simmons, bien que présent dans trois scènes, nous offre enfin un Jim Gordon tout droit sorti des comics. Son look et son interprétation sont un réel plaisir, à tel point que nous avons déjà hâte de le voir dans les prochaines productions de Batman où nous pourrons enfin profiter pleinement de sa présence.
Concernant les personnages de Bruce Wayne/Batman et Diana Prince/Wonder Woman, ce sont tout simplement les points forts du film. Zack Snyder et Chris Terrio continuent leur traitement de Bruce Wayne, qui était dans Batman V Superman un justicier que les années et la souffrance avaient rendu particulièrement violent, paranoïaque et névrosé au plus haut point. On retrouve donc notre Bruce Wayne devenu plus objectif sur le monde qui l’entoure grâce à Superman. Ce n’est pas pour autant qu’il s’est transformé en un leader lumineux, loin de là. Son écriture nous offre un justicier n’ayant pas d’autre choix que de rassembler une équipe. Un leader fort, mais occasionnel et pas toujours subtil, Superman serait plus qualifié pour ce rôle comme il le dit lui-même. Son tempérament et sa façon de voir certaines choses sont typiques du réel Bruce Wayne des comics tel que nous l’a livré Snyder depuis Batman V Superman. Autrement dit, Batman reste dur et montre qu’il peut encore une fois agir comme un sale con, et on adore ça. Ben Affleck nous prouve une seconde fois qu’il est l’incarnation la plus forte et la plus authentique du justicier milliardaire en nous livrant une parfaite continuité de son interprétation.
Il en va de même pour Gal Gadot en Wonder Woman. Des trois films dans lesquels elle apparaît, c’est de loin sa meilleure performance grâce à une parfaite écriture. Diana Prince a elle aussi son caractère et ses principes, sans parler de son long vécu, et lorsque sa vision et son éthique vont à l’encontre de ceux de Bruce Wayne, on assiste à la meilleure scène du film. Une séquence où la psychologie et le drame sont savamment maitrisés. Abordons enfin le traitement de Superman. Sa résurrection, à défaut d’être épique, s’avère intelligente, et donne droit à une scène des plus captivantes. Henry Cavill interprète encore une fois Kal-El de manière convaincante. Le seul défaut concernant le personnage sont les scènes de reshoots pour lesquelles il avait interdiction de se raser la moustache puisque le tournage de Mission Impossible 6, dans lequel il jouait, n’était pas encore terminé. Le procédé n’étant pas aisé, il ne s’agissait pas d’un simple effacement numérique pour la post-prod de Justice League. Une petite partie de son visage a été scanné en 3D afin de créer un double numérique pour cette même partie, et c’est malheureusement flagrant sur les quatre scènes de reshoots le concernant.
Pour le personnage de Steppenwolf, c’est la déception sur tous les points. Ce némésis n’est aucunement intéressant, que ce soit par son design ou son écriture. Mis à part une seule mention à Darkseid, c’est un antagoniste qui n’est pas vraiment lié à Apokolips à notre grand regret (et si c’est le cas, ce n’est pas du tout expliqué), il n’a rien du Steppenwolf des comics. Pourquoi avoir eu recours aux motions capture alors que son acteur, Ciaràn Hinds, aurait très bien pu l’interpréter de manière réelle ? Voir le visage en image de synthèse de Steppenwolf est décevant, mais encore une fois, ce n’est rien comparé à son écriture. Logiquement, Snyder comptait amener lentement mais sûrement tout ce qui tourne autour de Darkseid et d’Apokolips via Steppenwolf (qui est rappelons-le, l’oncle de Darskseid) mais il n’en est rien dans Justice League. Le montage a-t-il balayé tout cela ? Il y a de fortes chances, ce qui confirmerait certaines rumeurs qui avaient émergé il y a quelques mois.
DANNY ELFMAN ET SECONDE PARTIE
La composition musicale est très efficace. Mis à part quelques notes trop lisses et propres aux adaptations de comics classiques, Danny Elfman nous livre à la fois du John Williams et du « Danny fucking Elfman » comme il savait si bien le faire il y a des années. Nul doute que si un film Justice League avait été réalisé dans les années 90 avec Michel Keaton et Christopher Reeve, sa composition aurait ressemblé à ce que l’on peut entendre ici. Pour autant, efficace ne veux pas dire mémorable, ne vous attendez donc pas à des thèmes capables de rivaliser avec « What are you going to do when you are not saving the world ? », « Beautiful lie » ou « Is she with you ? ». Un registre tantôt sombre et gothique, tantôt lumineux, qui caractérise parfaitement notre ligue des justiciers, mais qui n’est pas aussi percutant que le travail de Hans Zimmer et Junkie XL. À noter, la réutilisation par deux fois de son thème Batman de 1989, procurant des frissons aux spectateurs ayant grandi dans les années 90. On regrettera cependant l’absence du puissant thème musical créé par Zimmer dans Man of Steel, lors du retour de Superman, mais on se consolera avec quelques notes du thème de Krypton par le même compositeur, et surtout, une utilisation partielle du thème mythique de John Williams.
Outre la psychologie et la relation des membres de la ligue, ainsi que la résurrection de Superman, on appréciera également la réutilisation d’une fameuse phrase du chevalier noir entendue dans Batman V Superman, sauf que cette fois-ci, c’est un autre personnage qui la prononce, rendant le moment tout simplement badass et excitant. Pourtant, malgré ces moments forts et inoubliables, la seconde partie est moins efficace que la première. Que la nuance soit claire, ce n’est pas mauvais, mais trop classique et expéditif. Il est certain que cette faiblesse nous livrant un troisième acte et une conclusion dans un schéma des plus basique est due encore une fois au montage imposé par Warner Bros, qui ne semble toujours pas avoir compris la leçon, pensant plus au profit qu’à l’artistique.
La nomination de l’excellent scénariste de comics Geoff Johns (Infinite Crisis, Batman Terre un, Rebirth) à la tête de DC Films était un symbole d’espoir, mais nous constatons au final que cette décision n’a rien changé, puisque les souhaits du CEO de Warner, Kevin Tsujihara, ont été appliqués à la lettre : Une légère réécriture et un reshoot par Joss Whedon, ainsi qu’un montage ne dépassant pas 120 minutes. Cela ravira probablement les spectateurs avides de divertissements basiques qui n’avaient pas apprécié les partis pris artistiques et les symboliques de Batman V Superman et son écriture pourtant dense, mais il ne fera pas le bonheur total des fans de DC et des cinéphiles. Il semblerait bien que le futur du DC Films se dessine un peu plus : de l’entertainment classique sans réels partis pris tel Marvel Studios. Nous le prouve également l’étalonnage, qui n’est plus « dark & gritty » comme ceux de Snyder, sans non plus être saturé pour autant, fort heureusement d’ailleurs. Extrêmement dommage, car la « trilogie » DC de Snyder avait de réelles qualités : une vision intelligente, une patte artistique appuyée loin des clichés édulcorés des adaptations de comics, bien que ce Justice League, dernier film de sa trilogie, ait été modifié.
Il ne nous reste plus qu’à visionner de nouveau Man of Steel et Batman V Superman Extended Cut pour nous consoler et nous dire que durant deux films au moins, un réalisateur visionnaire avait su tourner le dos aux codes de l’entertainment. Prions néanmoins pour qu’une version director’s cut voie le jour lors de la sortie Blu-Ray/Dvd, même si cela paraît peu probable. Zack Snyder, contrairement à sa femme Deborah, n’a pas du tout participé à la promotion du film, et on ne peut que le comprendre. Cependant, ne partez pas avant la fin du générique. Comme vous le savez probablement, deux scènes vous y attendent. La première n’apporte peut-être rien au récit, mais elle confirme que l’univers DC au cinéma est bien réel grâce à une scène des plus jouissives, vu dans plusieurs récits de comics et dans un épisode de la série animée Superman des années 90. Quant à la seconde, c’est tout simplement l’ultime plaisir et étonnement qui en dit plus sur la suite, mais chut, on vous laisse découvrir.
En conclusion : Une première partie efficace, mais une seconde trop classique imposée par la Warner qui n’a pas compris le potentiel du DC Films qu’elle tient entre ses mains. Justice League est cependant un rêve qui devient réalité, et nous propose des psychologies et des relations travaillées, un Ben Affleck et une Gal Gadot au sommet et une réelle suite intelligente de Batman V Superman, ponctuée de quelques scènes captivantes ainsi que deux excellentes scènes post-générique. À défaut d’avoir la vision complète de Zack Snyder, nous l’avons à 60 %.