Vaiana, de John Musker et Ron Clements, est le 56ème classique d’animation des studios Disney et est arrivé sur nos écrans de cinéma en 2016. L’intrigue du film s’inspire librement des figures de la mythologie Polynésienne. Avant de connaître l’incroyable destin qui fut sien, le long-métrage a été recouvert de nombreuses polémiques, et pour cause : parler librement d’une culture au cinéma, c’est un peu marcher sur des œufs. Il faut savoir le traiter de façon à plaire aux gens, sans en proposer une vision qui peut choquer. Pour exemple, à l’époque des premières images promotionnelles, le personnage de Maui, le demi-dieu qui accompagne Vaiana, a suscité de nombreuses polémiques chez les Polynésiens, considérant le personnage en surpoids, accusant ainsi Disney de fat-shaming.
De nombreuses polémiques ont aussi pu avoir lieu concernant les produits dérivés du long-métrage d’animation mais finalement, Vaiana reçoit un bon accueil lors de sa première projection publique le 15 Novembre 2016. Heremoana Maamaatuaiahutapu, ministre de la culture de Polynésie Française, a apprécié l’hommage du film à la culture Polynésienne mais a regretté ensuite que Disney aie déposé les mots Moana et Vaiana en tant que marques commerciales, vu qu’il s’agissait de termes communs utilisés par les Polynésiens. Dans ce contexte très particulier, le long-métrage aura malgré tout cartonné puisqu’il aura encaissé 643 millions de dollars de recettes autour du globe et 95 % d’avis positifs, classant le film parmi les meilleurs classiques d’animation Disney. Divertissement unanimement apprécié, le film aura raflé l’Oscar du meilleur film d’animation en 2017 et les musiques seront restées cultes des années durant.
Mais qu’est-ce qui fait, en termes purement cinématographiques, que Vaiana peut être qualifié comme une réussite ?
Premier élément : l’aspect technique. Le film est d’un réalisme fou tant le graphisme et la colorimétrie sont gérées d’une main de maître. Le travail autour de l’océan, à la fois décor où évoluent les protagonistes mais aussi personnage tertiaire de l’intrigue auront demandé un temps fou aux équipes chargées des effets spéciaux. Mais le degré de réalisme, pour un film d’animation, est sidérant. Jamais Disney n’aura fait fait mieux. Aussi bien oui en ce qui concerne les décors de Raya et le dernier dragon (2021) mais Luca (2021) aura fait le parti-pris de rester plus enfantin dans le design de ses personnages et ses paysages. Soul (2020) aura peut-être réussi à tutoyer la lointaine limite fixée par Vaiana, mais son décor trop restreint en fait une prise de risque mineur, d’autant que la majeure partie des scènes dans l’au-delà sont moins impressionnantes visuellement parlant.
Le vaste décor et ce travail pointilleux sur l’horizon, sur les vastes étendues marines, c’est un travail d’orfèvre qui a été orchestré par les équipes du film. Les scènes qui ne sont pas en mer se contente de faire le job visuellement parlant mais c’est bien l’océan qui devient la véritable star du film et pour cause. Étant donné qu’il est présent dans 90 % des prises de vues, il fallait capitaliser dessus.
Parce que Vaiana profite de cette sublimation de la mer pour jongler entre réalisme et onirisme de tout instant. Les scènes où Vaiana aperçoit des fantômes ou l’incarnation de sa grand-mère en raie, le mélange des couleurs permet de créer un effet d’halo scintillant qui sublime le moment et l’image. La gestion jour-nuit semble pilotée à merveille. Le travail est tellement abouti qu’il n’y transparaît aucune fausse note. En ce qui concerne les personnages, la donne est semblable. Vaiana semble trop parfait. Les personnages demeurent à cent pour cent expressifs, et le design de Maui (et ses multiples tatouages) tendent rapidement vers son doubleur officiel (Dwayne Johnson). Mais surtout, ses tatouages racontent une histoire. Encore une fois, c’est du détail, mais qui démontre une véritable volonté d’aller loin dans la démonstration visuelle.
Vaiana souhaite aussi déconstruire la figure de la princesse Disney. Trop conventionnelle, voire assez archétypale sous certaines productions, Vaiana n’est princesse que par son statut. Elle est surtout héroïne de son histoire. Jamais le récit, sauf l’introduction, ne rappelle qu’elle est prédestinée à régner. Par ailleurs, elle s’aperçoit que son statut ne lui sert pas vraiment. Lorsqu’elle se dispute avec Maui, elle tente de le forcer à rester avec elle de part sa condition mais ce dernier ne l’écoute même pas. C’est en se construisant elle-même qu’elle parviendra à ses fins (et que Maui reviendra de lui-même). Vaiana poursuit un peu le travail engagé dans la Reine des Neiges, à savoir proposer une nouvelle version de ses héroïnes, loin des vieux carcans de l’époque.
Par ailleurs, Vaiana tacle gentiment les films Disney où pousser la chansonnette est devenu trop facile (Maui dit distinctement à Vaiana, lors d’une scène : « Si tu chantes, je te tape ». C’est un petit coup de pied gentillet à d’autres productions comme La Reine des Neiges qui ont, finalement, un pied vers le progrès et un autre toujours ancré dans des structures narratives qui font le sel de Disney). Le statut de princesse de Vaiana, encore une fois, n’est presque que « verbal ».
De plus, on est aussi, dans ce long-métrage, dans une déconstruction du schéma narratif atypique des Disney. Si l’on commence par une exposition des événements, par un commencement des péripéties lorsque Vaiana quitte son île, les événements sont ponctués par des mini-climax. L’élément dit de « résolution » (lorsque Maui revient aider Vaiana contre Te Ka) ne fait pas l’objet d’une scène en soi, mais vient directement servir la continuité de l’histoire. Tout y est déroulé de manière bien plus fluide. La segmentation en parties n’est pas possible du fait que tout forme un ensemble homogène et distinct. Toujours dans la logique de déconstruction, celui du drame. Vaiana, lorsqu’elle perd sa grand-mère, est confrontée à un deuil qui l’a marquera mais dont elle se relèvera assez vite. Les croyances Polynésiennes laissent libre cours à la réincarnation, et les cinéastes usent d’une manière assez inédite de présenter Vaiana face à ce deuil : En faisant de cette situation une force continue et un recueillement nécessaire lors du dernier tiers du long-métrage.
Vaiana propose aussi un souffle épique bienvenu. Quasiment absent des dernières productions de la firme : Vice-Versa n’avait pas véritablement cette envergure impressionnante, les Nouveaux Héros en 2014 le proposait mais ne conjuguait pas forcément ce point de vue là combiné à l’utilisation de musiques. Zootopie (2016) s’inscrivait lui plus comme une fable sociétale qu’à un véritable film d’animation proposant de l’épique. C’est en ce sens que le passage avec les Kakamoras est important. Souvent perçu comme anecdotique, la référence appuyée à Mad Max : Fury Road dresse ce moment comment un gros passage épique destiné aux plus jeunes. L’alchimie entre les personnages de Vaiana et Maui est aussi sympathique à suivre car foncièrement dynamique. Le film est aussi bien fermé par une conclusion poétique et magistrale, qui fait écho avec une scène située au milieu.
Visuellement incroyable et porté par une histoire conjuguant bonheur, poésie, onirisme et épique, Vaiana est certainement l’un des meilleurs classique d’animation Disney de ces dix dernières années.